24 december 2007

LA VIE EN PROSE


C’est un endroit qui ressemble à une chanson de Ferrer. La Louisiane, l’Italie, les enfants, un chien, une tortue, des poissons rouges. Tout y est. Moins le linge étendu sur la terrasse.

(Mais au loin et seulement connu de lui dans ce champs de blé, une cachette avec dedans: le vieux fusil qui l’attend déjà au tournant).

Vers le bas, à deux pas d’espadrilles, la grande bleue nous offre ses paysages inimaginables qui ce soir nous émerveilleront en aquarelles près du vieux port.

Elle pique une pointe de Cavaillon, effleure son calice en safir de Murano, savoure prudemment le Banyuls qui se veut elixir. Me dessine ses yeux, en fins croissants couchés. Me pointe l’index en contre-bas vers les restanques. Là où des oliviers centenaires nous mixent ce ciel pour pointillistes genre Signac avec toute la splendeur méditerrannéenne en un petit triangle d’azur.

‘C’est là que Le Corbusier s’est noyé’.
‘Bel endroit pour sombrer’, je lui dis.

Elle frissonne, devine la fragilité, sous mon angoisse maquillée en audace. Elle sait que je ne blague pas. C’est de tradition chez nous. Rupture d’anévrisme, mort en direct.

Elle sait que ça me dirait bien de trépasser juste ici. Maintenant que tout est si bien. Ce moment précis où le temps et l’espàce se rejoignent pour nous effleurer de bonheur, comme avant. Avec, outre la douce brise, toute la chaleur intérieure qui nous lie à jamais de naissance.

Mais on ne choisit pas. Je ne suis pas Nino Ferrer. La mort choisie du vieux chasseur, les champs de blé et de malheur: très peu pour moi.

(Faut toujours se méfier du blé).

Vive le banquirai de l’été, autour du teak-sous-parasol-couleur-café. Là où ceux qui nous ont quitté nous rejoignent. Leurs rires qui nous reviennent. Leurs discours. Leurs querelles. Leurs chansons. Mon oncle Benjamin. Tonton Christobal qu’est revenu.

(Un gsm nous fait le coq chantant à l’intérieur de la maison de vacances. Une fille en fleurs chuchote que lui aussi elle lui manque. Comme l’air qui lui fait défaut. Dans ce lieu maudit pour Poupées de Peinet séparées. Et puis ces foutues Alpes Maritimes menaçantes qui nous préparent un scirocco venu d’Oran pour ce soir).

‘Notre monde a tellement…’.

‘….Disparu dans l’immonde,’ je l’interromps.

(Un tic génétique. Un atavisme encombrant contre lequel je lutterai en vain ma vie durant. Pour un bon mot je donnerais ma peau).

‘…Changé'.. qu’elle me corrige. ‘Mais toi et moi, on se le garde là.’

Je sais qu’elle dit vrai. Que jamais notre monde, nous le laisserons se dissiper. Ni par le temps ni par l’age avançant, si vorace pourtant de tous nos souvenirs. Rien jamais ne pourra nous le voler, ce cadeau reçu en héritage d’une jeunesse heureuse. Avec pour toute fortune la force d’une veuve. Seule mais forte, face au destin.

‘Si on mettait les voiles pour Vence?’ qu’elle me propose.

‘Voir la tombe de Chagall?’ je lui fais.

Toujours mieux que d’aller cotoyer les nouveaux riches Russes et autres maffieux au Monte-Carlo Beach.

‘La vie en prose’. ‘Journal intimide.’
Copyright Stef Vancaeneghem.