08 februari 2008

LA VIE EN PROSE


‘Finalement, ce livre sur Sagan m’a bouleversée. Quel destin!’
‘Oui, pas banal. Coke au réveil, morphine au dodo. L’écriture au Maxiton, à la Corydrane comme Sartre. Puis sa lente descente aux enfers. Amphétamines. Alcool. Jeu. Accidents de voitures. Overdoses,. Mariages bidon. Bi-sexualité non avouée. Milliards en droits d’auteurs partis en volûtes. Rapatriements en catastrophe par Falcon présidentiel. Mitterrand devant sa porte close. Playboys pique-assiette de profession. Vautours. Voyoux genre Dédé la Sardine. Ruine. Grand vide existentiel. Puis finalement grand vide tout court.’
‘Sa vie est un roman.’
‘Du Scott Fitzgerald. Avec une amitié fidèle tout de même, l’écrivain Bernard Franck.’
‘Mais le plus étonnant dans tout ça…’
‘C’est son salon bondé. Avec Bardot, Johnny Hallyday, les Rotschild et tout ce que la France peut compter de people. Et puis elle qui se retire tout doucement dans sa chambre pour y lire seule. Proust, Stendhal, Styron, Sartre.’
‘Sagan, c’est pourtant l’anthologie du superficiel et du superflu non?’
‘Attends. Il y a ce prof de Sorbonne, grand grammairien, qui découvre aujourd’hui une oeuvre sous-estimée. Non pour teenagers, comme tout le monde l’a toujours prétendu. Mais à travers la sensualité et l’indolence un classicisme qui remonte à la Fontaine.’
‘Je me souviens un soir ches Pivot avec Hugo Claus…’
‘Elle bafouille, oui. Claus n’en revenait pas. Mais il s’avère que ce begaiement lui a servi en écriture. Cette façon de faire des phrases gigognes à coulisse. Très fines. Des phrases avec des effets de ralonges. Cette réouverture typiquement Saganesque. Cette cadence. Ces allitérations. Ces assonances. Ces jeux de consonances. Ces anaphores. Sagan qui s’amuse avec la phrase, comme un jeune chat pousse une souris.’
‘Elle joue, quoi.’
‘Pas quand elle écrit. Elle, la joueuse du 8 qui un matin à Deauville lui fait gagner son manoir, ne joue pas au hasard en écriture. Bien au contraire. Elle fabrique sa phrase en finesse astucieuse. La déconstruit grammaticalement. Puis la rattrape d’un coup de patte habile. La coulisse. La fait glisser par retouches légères.’
‘Et ça donne cette petite musique?’
‘Exactement. Ce style d’une force douce et insensible dont parle Sartre. Son vieil ami aveugle. Pour elle il s’arrache à l’omniprésence de la Beauvoir. Et elle lui coupe patiemment son steak au poivre, chez Lipp. Touchant. Sartre et Sagan. Couple mythique. Monstre sacré et petit monstre. Pour qui les garçons, ceux de la mauvaise foi existentielle, se mettent au garde à vous. ‘
‘Reste plus qu’à attendre sa consécration posthume en Pleiade.’
‘Son fils Denis Westhoff, gamin qu’elle a fait avec le mannequin homo Bob Westhoff, s’en occupe.’
‘Le cul dans le beurre, lui. Les droits d’une oeuvre déjà mythique?’
‘Un million d’euros de dettes qu’il hérite, le pauvre. Qu’il rembourse au fisc par petits projets. Genre Sagan à New York et revente de ses reportages, de ses interviews et répliques. Mais Sarko promet d’arranger tout cela.’
‘En attendant elle reste bien absente des librairies.’
‘Horsmis pour ‘Bonjour Tristesse’ et ‘Sagan’ chez Robert Laffont dans la Collection Bouquins, fondée par son autre homme Guy Schoeller. ’
‘Tous ces hommes qui adoraient ce petit bout de femme...’
‘Parce qu’adorable et généreuse. Sauf sur la fin. Là elle vire tout le monde. Meurt dans les bras de la brave Marie-Thérese Le Breton. Qui se recueille sur sa tombe, y ceuillant des trèfles. A deux fois quatre feuilles, évidemment.’
‘Et les hommes?’
‘ Tous les hommes de sa vie ont disparus comme elle.’
‘Elle repose où? Au Père Lachaise? A San Michele?
‘Cajarc. Dans son Lot natal. Avec son amie lesbienne Peggy Roche.’
‘Quelle histoire!’
‘Un roman je te dis. Du Piaf , mais bourge. Un film à venir. Sans aucun doute.’

*
‘Autre chose à lire? Je n’ai plus rien à me mette sous la dent. Ici les jours se suivent et se ressemblent. La mer scintille, se fait belle pour le printemps. Tu devrais venir nous rejoindre.’
‘Annie Ernaux’.
‘Annie qui tu dis?’
‘Ernaux. Prix Renaudot pour La Place. Tout le contraire de Sagan. Elle fouille, Ernaux. Elle décante. Elle distille son passé en Normandie, à Yvetot. Tout en se refusant toute poésie du souvenir. Le souci de la vérité. Les Années, ça se titre. Vient de sortir chez Gallimard.’
‘Et ça ta plu?’
‘Beaucoup. Déjà que j’avais aimé La Place et La Honte. Les Années, c’est son grand livre. Celui qu’elle ne pensait plus pouvoir écrire pour cause de cancer.’
‘Les années…ça parle de quoi?’
‘L’inventaire d’une vie depuis ’40. Tu devrais aimer, toi qui es née à Paimpol en ’40. Tout dans le détail. Expressions. Marques. Moeurs. Le shampooing Dop, le parfum Bourjois, avec un J comme joie.’
‘Comment elle fait pour retenir tout ça?’
‘Mémoire gigantesque. Plus les souvenirs personnels. Photos. Journal. Notes. Le journal intime comme déversoir. Matériau brut. Et puis, très fort, la notion de distance. L’écriture distante, ce sentiment d’être une transfuge. Elle, la prof de lettres. Avec cette maman épicière. Avec ce papa cafetier, venu d’une autre planète. Le papa qui tape, claque les portes, fait reluire son assiette avec son bout de pain. Pas besoin de lave-vaisselle. Ellle se met en position d’ethnologue. Peu ou pas de nostalgie. Et puis cette magnifique mémoire familiale. Les discussions de table. Les chansons qu’on chantait au dessert. ’
‘Comme chez nous, avant?’
‘Et puis quand tu quittes la table, tu quittes un monde. Tout ton monde. Néanmoins saisir en écrivant cette durée qui constitue ton passage sur terre, à une époque donnée.’
‘C’est pourquoi tu n’arrêtes jamais d’écrire, toi non plus?’
‘Cesser d’écrire c’est comme retomber dans la vitesse. Dans la pente du temps.’
‘La vitesse de Sagan?’
‘La vitesse de son Aston-Martin pliée vite et bien sur les grands chemins du destin. Sagan et Ernaux, deux styles de vie. Deux styles d’écriture. Ce qui serait bien, ce serait la petite musique de Sagan sur fond distant d’Ernaux.’
‘ Ce qui donnerait quoi?’
‘Du Proust. Mais alors de notre temps retrouvé.’

‘La vie en prose’. ‘Journal Intimide.’
Copyright: Stef Vancaeneghem.