07 november 2008

LA VIE EN PROSE

Depuis qu’il est monté dans la Camaro, Thomas, dix ans, répète, comme il le fait toujours: ‘Où on va, papa?’
Au début, je réponds: ‘On va à la maison.’
Une minute après, avec la même candeur, il repose la même question, il n’imprime pas. Au dixième ‘Où on va papa?’ je ne réponds plus…
Je ne sais plus très bien où on va, mon pauvre Thomas.
On va à vau-l’eau. On va droit dans le mur.
Un enfant handicapé, puis deux. Pourquoi pas trois…
Je ne m’attendais pas à ça.
Où on va papa?
On va prendre l’autoroute, à contresens.
On va en Alaska. On va caresser les ours. On se fera dévorer.
On va aux champignons. On va cueillir des amanites phalloïdes et on fera une bonne omelette.

On va à la piscine, on va plonger depuis le grand plongeoir, dans le bassin où il n’y a pas d’eau.
On va aller à la mer. On va au Mont-Saint-Michel. On ira se promener dans les sables mouvants. On va s’enliser. On ira en enfer.
Imperturbable, Thomas continue: ‘Où on va papa?’ Peut-être qu’il va améliorer son record.
Au bout de la centième fois, ça devient vraiment irrésistible. Avec lui, on ne s’ennuie pas. Thomas est le roi de running gag.


‘Où on va, papa?’ Jean-Louis Fournier.
Prix Fémina 2008. Stock.